Présentation du dictionnaire
Un dictionnaire breton français conçu et rédigé au Manoir de Trogriffon à Henvic
Durant la Révolution Française, la noblesse est mise à mal en maints endroits, mais à Henvic, l’occupant du manoir de Trogriffon, Pierre Joseph Jean de Coëtanlem, est un homme très apprécié de ses concitoyens, et ceux-ci ne vont pas l’inquiéter. Il est seulement « assigné à résidence ». Prisonnier sur parole, il doit vivre reclus dans son manoir.
Il met à profit ce temps, de 1791 à 1820, pour rédiger un dictionnaire Breton-Français de 8334 pages. L’ensemble de l’ouvrage, entièrement manuscrit, est réparti en 8 volumes reliés de cuir. Sous le titre « Dictionnaire de la langue bretonne », Pierre de Coëtanlem reprend une édition de Dom Louis Le Pelletier, et la complète avec des ajouts et des remarques rédigés en français.
Lors d’un « Symposium de la Bretagne Linguistique », le 10 décembre 2010, à la Faculté Victor Ségalen, à Brest, il est reconnu que « les commentaires linguistiques et extra-linguistiques représentent une source de premier ordre pour les sociolinguistes, les dialectologues, les lexicographes, les littéraires, les historiens et les ethnologues ».
En effet, après les traductions des mots bretons en français, et des références littéraires ou historiques abondantes, l’œuvre de Coëtanlem contient de nombreuses observations sur la vie quotidienne des gens de son « païs », évoquant par exemple l’alimentation ou le travail ainsi que la langue qui était parlée Ces longues annotations constituent donc, chose rare, un témoignage direct sur les habitants de cette contrée ».
Après avoir « disparu » durant de nombreuses années, l’ouvrage, qui constitue une véritable encyclopédie, a fort heureusement été « retrouvé », et est situé dorénavant en toute sécurité à la médiathèque des Capucins à Brest.
Numérisé par le CRBC (Centre de Recherches Bretonnes et Celtiques), l’ensemble du document a été mis en ligne durant quelques temps, sur le site « Hermine », à l’exception du tome 3 qui regroupe les lettres E, F et G.
C’est grâce à l’initiative et à la collaboration précieuse de Louis Guillou, chercheur diplômé Universitaire « Langues et Cultures de Bretagne », option généalogie, que l’association L’AMER a pu mettre en ligne l’oeuvre de Coëtanlem. Mais il n’est pas possible pour l’instant de proposer ce tome 3 manquant. Espérons qu’un jour prochain il sera possible de rajouter ces lettres manquantes!
Lors de la conférence qu’il a faite à Henvic le 9 août 2018, Louis Guillou a retracé dans un premier temps l’histoire de la famille de Coëtanlem, puis des De Grainville qui lui ont succédé, jusqu’aux De Kéranflech qui possèdent aujourd’hui Trogriffon. Tout en resituant ensuite l’extraordinaire travail de Pierre Joseph Jean de Coëtanlem dans le contexte de l’époque, où « l’écriture du breton était bien différente de celle du breton moderne », il a expliqué pourquoi la recherche de mots dans le dictionnaire de Coëtanlem « peut dérouter un lecteur moyennement averti »: l’auteur a en effet repris l’ouvrage de Dom Louis Le Pelletier en l’état, avec une réforme de l’orthographe qui était loin d’être achevée en 1700.
Il a ensuite rappelé que c’est en 1659, que les Jésuites décidèrent que dorénavant, le Breton s’écrirait comme on le parle, avec les mutations. Trois nouvelles lettres « ch », « c’h » et « k/ » ( le k barré, pour « Ker ») furent créées, entraînant la chasse aux lettres « C » et « Q » devenues inutiles. L’usage des lettres « U » et « V » d’une part, « S » et « Z » d’autre part, a évolué. « Comme les mutations se faisaient oralement, mais ne s’écrivaient pas, a-t-il expliqué, personne ne cherchait à en éclaircir les règles », et établir ces règles était autrement plus complexe que d’améliorer l’alphabet. C’est en 1807, a précisé Louis Guillou, que parut la première grammaire Bretonne digne de ce nom, celle de Jean François Le Gonidec. Dans les cinq derniers tomes du dictionnaire de Coëtanlem, les allusions à cette grammaire sont nombreuses. Louis Guillou a enfin rappelé l’évolution de l’orthographe de la langue bretonne, expliquant que Le Pelletier n’utilisait pas les lettres « J », « Q », « V », « X » et « Z » en début de mot. Si dans les dictionnaires modernes, les lettres Q et X ne figurent pas, on y trouve toutefois quelques mots débutant par « J », « V » et « Z ». La lettre « C » mêle « Ch » et « C’h » à beaucoup d’autres usages, et le Breton moderne a changé la lettre « C » en lettre « K ».
Ci-dessus, une photo de l’ensemble des 8 volumes du dictionnaire, et ci-dessous, la première page de la préface rédigée par Pierre Joseph Jean de Coëtanlem.