L’incendie du dépôt de carburant

Le carburant brûle pendant une semaine

Yves Nicolas poursuit son récit en évoquant cet énorme dépôt de carburant, et d’huiles, constitué par les troupes anglaises avant la guerre, mais qui dût être détruit à l’arrivée des allemands.

« Depuis quelques mois nous avions assisté à l’édification, à la limite des communes de Henvic et de Taulé, appelée aujourd’hui « Zone des Ajoncs », d’un immense dépôt de carburants destinés à l’armée de nos alliés anglais. Deux énormes pyramides tronquées, constituées par la superposition des bidons, cubiques pour l’essence et cylindriques pour le pétrole, se voyaient de loin mais leur approche était interdite et placée sous la surveillance d’une compagnie de «Tommies ».

« Et voici qu’un matin se répand une rumeur : « les Anglais ont décampé en catimini pendant la nuit, et les gendarmes de Taulé s’apprêtent à mettre le feu au dépôt de carburant, mais ils autorisent auparavant la population à venir se servir en pétrole. »

Un bidon provenant de ce dépôt est conservé au Musée Maritime de Carantec.

« Aussitôt mon père attelle son vieux cheval « Capitaine » et, avec mon frère, nous voilà partis tous les trois à la recherche du précieux liquide. Sur les lieux, le spectacle était saisissant : la foule était accourue munie de toutes sortes de moyens de transport, depuis la brouette jusqu’aux véhicules automobiles. Les hommes, tels des alpinistes, s’attaquaient au flanc de la montagne de pétrole et en faisaient descendre des cascades de bidons. Les gendarmes débordés couraient en tout sens, poussant force coups de gueule et de sifflets. Nous nous empressâmes de remplir notre charrette d’une dizaine de bidons d’une quarantaine de litres chacun, et nous retournâmes à Kervor, heureux de ramener l’alimentation, pour plusieurs mois, de la lampe suspendue au dessus de la table familiale, de la lanterne à l’usage des crèches, et des lampes « Pigeon » dont le « goulou lutig » éclairait nos chevets d’une flamme vacillante ».

« Le lendemain matin, au réveil, Henvic était plongé dans l’obscurité ; un épais nuage noir planait au dessus de nos têtes et nous masquera, pendant une semaine entière, la vue du soleil, plongeant la commune dans un profond marasme. Le comble sera atteint lorsque, alors que le secteur était en flammes arrive en gare de Taulé un train entier de bidons de pétrole. Sous la conduite des gendarmes, le train, éloigné de la gare, est déchargé de ses bidons, lesquels seront défoncés un à un à coup de pioche, et leurs contenus déversés dans la nature. A leur arrivée, les Allemands furieux ne pourront que constater les dégâts ».

« Mais un dimanche matin, fut proclamé « sur la pierre » un ordre de la Kommandantur de Morlaix mettant en demeure, sous peine des plus graves sanctions, les détenteurs de pétrole anglais à le restituer sans délai. Mon père attela donc de nouveau le vieux « Capitaine » et repartit penaud en chemin inverse, avec son précieux chargement. Nous ne gardâmes que le bidon déjà entamé et un second que nous cachâmes dans la lande d’un talus de nos champs ; mais lorsque quelques semaines plus tard mon père partit le récupérer, il ne put que constater sa disparition, mais se garda bien de déposer une plainte pour vol !  »