Le trou fantôme de Toul ar Brohet

Des souterrains reliaient les manoirs entre eux

Les anciens agriculteurs savaient bien qu’en de multiples endroits de Henvic, il arrivait que la terre des champs s’écroule, laissant apparaître des restes de souterrains. Bien souvent, on s’empressait de reboucher ces trous, afin d’éviter que des équipes de « spécialistes  » viennent étudier la chose, et piétiner les cultures… Certains de ces souterrains ont cependant pu être étudiés. Selon les types de revêtement des voutes, en terre ou en pierre, certains pourraient dater de l’époque romaine, alors que d’autres auraient pu servir à relier entre eux les manoirs et les fermes fortifiées, afin de mieux les défendre.

L’article suivant, intitulé « Le trou fantôme de Toul Ar Brohet », écrit par Ch Léger, paru dans le journal « La Dépêche » le 13 juin 1935, nous raconte comment on peut passer rapidement de l’histoire à la légende !!

« Une pancarte est là, sur le talus, à la coupure d’un sentier qui mène au fameux champ. C’est un carton manuscrit où l’on distingue à peine: « Arrêtez ! Visitez le trou fantôme. 1 francs par tête obligatoire ». Un trou, ce n’est évidemment pas grand-chose. Et comme un fantôme ce n’est rien du tout, on pourrait sans doute hésiter. Mais comme, après tout, cela sent le mystère, on abandonne l’accélérateur pour le frein…

« Sur ce plateau, que traverse le chemin de Henvic à l’ancien Passage de la Corde, les horizons sont d’artichauts. Les têtes dominent là, issues du sol, comme celles d’une ribambelle de korrigans ou de farfadets. Au bout du sentier, la ferme de Mez ar Groas (en dehors de la croix), car à une centaine de mètres est une croix qui masque le carrefour des routes de Henvic à Carantec et du Passage de la Corde à Feunteun Speur. Mez ar Groas s’appelle aussi Toul ar Brohet, (trou du blaireau), pour des raisons que l’on ne connaît guère, ou dont l’origine s’est depuis longtemps perdue.

« Vendredi soir, Monsieur Yves Kerrien, le fermier, faisait dans son champ une coupe d’artichauts, en compagnie de son aide, Monsieur Joseph Bohic, qui portait une hotte. Une hotte chargée vous contraint à baisser la tête, aussi Monsieur Bohic, le front penché, examinait le sol. Pourquoi cet affaissement au milieu du champ l’intrigue-t-il. Il n’en sait rien. Un vigoureux coup de talon provoqua un éboulement qui le laissa bouche bée. Un trou profond venait de s’ouvrir, qui laissait apparaître, à 1,50 m du sol, le sommet des voûtes d’un carrefour de trois souterrains.

« Certes, on connaît bien l’endroit Toul ar Brohet, mais tout de même ces galeries qui ont plus de un mètre de hauteur, et dont les parois paraissent enduites d’une couche argileuse, ne sont certainement pas l’œuvre de blaireaux. Monsieur Kerrien rappela qu’un jour on avait découvert, dans un champ voisin, à une cinquantaine de mètres à peine, une dalles de granit et qu’il s’était efforcé de dégager. Mais elle avait de telles dimensions qu’elle disparaissait sous le chemin qui conduit à sa ferme, et n’avait pas insisté pour l’enlever.

« Trois souterrains ! Cela représente en ouvrage d’envergure, d’autant plus que partant de ce point culminant et désertique, ils doivent aboutir à d’assez grandes distances. L’un paraît se diriger vers le sud, vers la ferme de Kervéguen Vras, où il y eut jadis un manoir dont il ne reste plus le moindre vestige. Le deuxième pique vers le nord est, dans la direction de Kerily Vras, où il y eut jadis un ancien manoir dont tous les bâtiments ont été reconstruits il n’y a pas si longtemps. Le troisième, vers l’ouest, penche vers la rivière Penzé, aux abords de l’ancien Passage de la Corde, il se dresse encore un autre manoir, celui du Lingoz.

« Ce manoir de Lingoz, à l’embouchure de la Penzé, tout près de Carantec, et situé dans un site admirable. À gauche la pointe de Saint-Pol, avec ses clochers. Au large, l’estuaire s’épanouit, barré par l’île Callot. À droite les hôtels, les villas de Carantec dominant également l’entrée de la rade de Morlaix.

« Ce coin, parfaitement abrité, où la grève présente d’étonnantes ressources, où la terre affirme de surprenantes fécondités, fut de tous temps un pays d’élection. À côté de l’antique manoir, en effet, voici, sur un talus, un menhir qui en témoigne. Entièrement vêtu de lierre, d’un lierre robuste qui a poussé d’impressionnants rameaux, il a pris l’aspect d’un de ses vieux troncs de chênes qui ne résistent plus que sous le couvert d’autres plantes. Tout près, en plein champ d’artichaut, est un dolmen non moins verdoyant. Mais, évidemment, il ne s’agît là que de directions approximatives. On eût voulu connaître dans le pays une ouverture quelconque de souterrain.

« Bien sûr, il en est une, dit-on, au manoir de Quistillic, sur le bord de la Penzé, mais qu’est-elle ? Cette entrée, située à l’intérieur de la maison, a l’apparence d’un puits dont on prétend ne pas connaître la profondeur. Le souterrain passerait sous la rivière pour atteindre en face , sur l’autre rive, un ancien manoir dont le pigeonnier existe encore. Mais voilà, personne ne s’y est hasardé.

On ne se hasarde guère d’ailleurs du côté de ces choses mystérieuses. Voyez près de la croix de Kerrichard, sur la route de Henvic à Penzé, il existe un tumulus qui a son histoire, pour mieux dire sa légende, que l’on est loin d’avoir oubliée.

« Le jour des rameaux, si le soleil brille pendant la lecture de l’évangile, une barrique d’or vient effleurer le sol. Mais si vous passez dans le voisinage, détournez-vous, ne tentez pas d’y jeter vers le tumulus un regard sacrilège; la barrique est gardé par un terrible serpent et un seul coup d’oeil vous vaudrait la damnation.

« Évidemment on a beau jeu à bâtir des légendes sur des affirmations qu’il est interdit de contrôler d’un seul regard. C’est ce qu’a pensé un jour le fermier voisin, qui a entrepris de creuser la butte. Il fut déçu: il n’y trouva qu’une vieille fourchette rouillée et n’insista pas. Mais pour avoir ainsi fait le tour de Henvic, nous voici à quelque distance des souterrains. Ici le propriétaire a recommandé de ne pas entreprendre de fouilles. Il entend que l’examen de la découverte soit poursuivi méthodiquement et en connaissance de cause. Et puis, à Henvic comme partout ailleurs, on a si souvent parlé de trésor ! En attendant, le fermier, dont on piétine les artichauts, n’hésite pas : « 1 francs par tête obligatoire!  »

Ch Léger