Des pierres qui ont traversé les âges

Les outrages du temps

Le bourg de Henvic et ses environs ont dû être habités très tôt. Comme dans une  multitude d’endroits, la vieille église se situe non loin d’une fontaine. Les fontaines étaient des lieux sacrés pour les anciens celtes. Non loin de là se trouve aussi le lieu dit le « Menec »… Y aurait-il eu un petit monastère à cet endroit? Si on remonte aux temps immémoriaux, le bourg de Henvic devait être le plus important de la région, et ce n’est que plus tard que la paroisse de Taulé fera de Henvic une trêve, un territoire dépendant d’une église plus importante, une sorte de « sous-paroisse ». Durant des siècles, bien avant le développement de l’agriculture que l’on connait de nos jours, la région était couverte d’arbres. Les bateaux qui naviguaient dans la baie pouvaient apercevoir le clocher de cette église, qui dépassait des arbres, et constituait un amer pour la navigation.   

L’arrivée du christianisme  Vers l’an 72, selon la tradition, la région de Morlaix aurait été christianisée une première fois pas Saint Drennalus, un disciple de Joseph d’Arimathie, et à Henvic, une première église en bois aurait été construite à l’emplacement actuel qui a pu être auparavant, un champ sacré druidique. Au cours du 5ème siècle, Saint Maudez et Sainte Juvelte seraient venus d’Irlande afin de ré-évangéliser le Nord de la Bretagne. Ils devinrent les Saints Patrons de la paroisse de Henvic, où ils furent vénérés durant des siècles. La vie de St Maudez a été largement étudiée par Maurice Carbonell. Par contre, en ce qui concerne Ste Juvelte, nous ne savons pas grand-chose, sinon que, selon la tradition, elle aurait été sa sœur. Nous ne savons pas davantage si ce saint est passé par Henvic, et s’il y a vécu…

La construction en pierre.  Durant les invasions diverses, qu’on attribue souvent aux Vikings, et qui eurent lieu jusque vers l’an 1000, l’église fut brûlée. Elle fut ensuite  reconstruite, cette fois-ci en pierre, à partir du 11ème siècle.

Les soubassements et les piliers qui bordent la route seraient de l’époque romane. Le clocher, avec sa balustrade en saillie et son beffroi, date probablement de la fin du 16ème siècle. Le porche occidental, surmonté de la chambre d’archives aurait été accolé à la fin du 17ème siècle. L’église bien plus grande autrefois, avait un plan en forme de croix latine avec un large transept et un chevet plat. Le site alors était largement boisé.

Ci dessous, une des premières photos dont nous disposons. 

Une des plus anciennes reproductions de la vieille église de Henvic. Ce tableau,ci-dessous, intitulé « Procession à Henvic », a été peint par Ferdinand Du Puigaudeau, peintre impressionniste né en 1864 et mort en 1930. Il rencontre Gauguin en 1886, puis Degas.  Attiré par les effets de lumière et d’éclairage, du Puigaudeau réalise à cette époque des tableaux qui se caractérisent par leur ambiance nocturne.

Le clocher est de style Beaumanoir, du nom de cette illustre lignée de tailleurs de pierre et de bâtisseurs nés à Plougonven . Ce clocher, appuyé sur un mur épais renforcé de contreforts est flanqué d’une tourelle d’escalier qui mène à une balustrade de granit. La plateforme reposant sur de solides corbeaux est prolongée par des gargouilles.

En 1913, Louis Le Guennec décrivait ainsi l’édifice. (Le Finistère Monumental 1978). « De l’ancienne église, on n’a conservé que le clocher et la partie adjacente qui sert actuellement de chapelle de catéchisme. A l’extérieur, se dresse un petit autel, aux personnages mutilés. Il est situé clans l’axe de la nef, et correspondait a l’emplacement du maître-autel avant la destruction partielle de l’église. Cet autel est posé sur une pierre tombale aux armes des Crémeur, Seigneurs de Quistillic (trois quintefeuilles et une étoile en abysse) qui était vraisemblablement dans une chapelle latérale.

L’entrée du placître est surmontée de vieilles statuettes en pierre, restes d’un vieux calvaire détruit sous la Révolution. La place qui entoure l’édifice était entourée d’arbres, selon le témoignage du chanoine de Léon Louis Jacobin, venu a Henvic en 1613, et relatant à son évêque « la jolie petite église d’Hen-Guic, l’une des plus belles de la campagne, cachée et abritée des vents par un bouquet d’arbres ». On en comptera encore près d’une centaine en 1794 et la place s’appelait il y a encore peu de temps: « Ar c’hoad » qui signifie le bois.

 Les dégradations du bâtiment sont constatées dès la première moitié du 19ème siècle,

Le Conseil Municipal de Henvic, dans une lettre datée de 1832, fait une demande d’argent pour la reconstruction de la partie saillante de leur église et de 1843 à 1848, on trouve dans les extraits du registre de délibérations, des demandes d’aide financière pour l’exécution de travaux sur l’église. Le curé de la paroisse adresse le 10 août 1858 une lettre à Sa Majesté Impériale Napoléon lll.  « L’église se trouve en tel état, que la reconstruction d’une nouvelle sacristie y est devenue indispensable ». Il demande une aide financière. Les raisons invoquées sont que « sa solidité, fortement compromise est « une menace pour la sûreté publique », et aussi « parce que son établissement et sa capacité intérieure sont en contradiction avec les règles les plus élémentaires de l’hygiène ». Enfin, parce au`elle est devenue insuffisante pour les besoins du culte.

Construction de la nouvelle église

Le 12 mai 1896 : Un procès-verbal d’enquête est établi sur le projet de reconstruction de l’église. La plupart des habitants sont pour la reconstruction de l’église à l’emplacement de l’ancienne. La lettre du 6 juin l898 du ministre des cultes au préfet nous indique: « Aujourd’hui, il s’agit de remplacer cette église par un nouvel édifice. Les intéressés se proposent de garder et de restaurer une partie de l’ancienne église pour servir de chapelle de catéchisme, la tour et le porche seraient également conservés. Mais cette demande se heurte à un refus, car il serait « inadmissible d’avoir deux églises dans la même commune ».

Un procès verbal d’enquête daté du 13 juillet 1896, concerne la reconstruction de l’église de Henvic, sur un emplacement donné par Mr Drouillard, distant de quelques dizaines de mètres de la vieille église, et se trouve même plus proche qu`elle du centre des maisons du bourg. Il est également question de l’agrandissement du cimetière, pour une raison d’hygiène publique.  Le Conseil donne un avis favorable. En 1899, débute donc la construction de la nouvelle église de Henvic. Un partie de la nef sera alors amputée, afin de récupérer des pierres. 

La vieille église, devenue propriété de la commune depuis 1905, est alors définitivement désacralisée, et la législation donne à la commune la responsabilité de son entretien.

Le classement du clocher aux Monuments Historiques en 1913, et de la nef en 1936

Dans une lettre du 18 décembre 1933, l`Architecte en Chef des Monuments Historiques,  explique ainsi l’état de l’édifice. « Dans le vieux cimetière de Henvic près de Morlaix, s’élèvent, adossés l’un a l’autre, le clocher, vestige de l’ancienne église, et une petite chapelle du 18ème siècle sans grande valeur architecturale mais d’un caractère rural et pittoresque qui s`harmonise heureusement avec l’ensemble entouré de grands arbres.

Le clocher est classé parmi les Monument Historiques depuis l9l3 mais la chapelle, d’un intérêt archéologique médiocre ne l’est pas et elle n`est pas entretenue. Son état de délabrement s’accentue de jour en jour et la chute de la toiture et de la voûte en bois est a craindre à bref délai. Privé du voisinage de cette petite chapelle, le clocher restera isolé et pauvre dans ce cimetière et il perdra aussi en valeur pittoresque, aussi croyons-nous devoir, malgré les difficultés des temps présents, demander l’extension du classement à la petite chapelle et au cimetière avec ses murs de clôture.

Pour sauver de la ruine ce petit édifice, il faudra remplacer d’urgence la couverture, le voligeage et réparer quelques éléments de charpente soit une dépense d’environ 7 000 ou 7500 francs dont une partie sera supportée par la commune ou le clergé. Dans ces conditions, le classement ne consisterait pas une grande charge pour l`état, cet ensemble charmant serait sauvegardé et le vieux clocher classé resterait en pleine valeur ».

A son tour, le recteur de la paroisse,  l’Abbé Eucher Corre, le  13 décembre 1934, fait une demande de classement de la vieille église, en raison de son mauvais état. « Les enfants viennent pour le catéchisme alors qu’il y a un gros trou dans le toit ». Il se dit prêt  à assumer une partie de la dépense. La nef sera classée le 3 août 1936.

Le bâtiment demeurera dans cet état, avec sa nef raccourcie, et sans toiture, durant de nombreuses années.