La chute du clocher

La chute du clocher et la reconstruction

Le 12 janvier 1908, alors que l’église est terminée, et utilisée pour le culte, le Président du Conseil de Fabrique propose de terminer l’édifice, par la construction  du clocher. « Le Recteur veut bien se charger des frais de ladite construction, si la Municipalité de Henvic se charge du charroi des pierres et obtient l’autorisation du Préfet à cet effet… Le Conseil, sachant que tous les paroissiens désirent ardemment ce clocher, croit qu’on peut compter sur le dévouement le plus absolu de la population de Henvic pour faire exécuter ce travail.

Mais un évènement qui aurait pu être catastrophique, intervient. Le texte qui suit a été publié dans les numéros 72 et 73 du “Kannad Henvic”, en février et mars 1966. Le recteur de l’époque, M. Jean Kervennic, y remercie vivement M. Jean-Louis Jacq, du Croissant, qui y relate cet événement extraordinaire.

« Le vendredi 24 juin 1909, jour de la St Jean, le mauvais temps sévissait bien que ce fut l’été. Malgré cela et quoique ce fut fête, une équipe de 5 ou 6 ouvriers travaillaient au clocher, à finir les joints, et aux menus travaux. Ils étaient abrités dans les clochetons car le vent soufflait en rafalest. La pose des dernières assises de pierre de taille était finie du samedi précédent. Mais la tige de la croix qui descend profondément dans la pierre de flèche n’était pas scellée et le coq n’était pas en place. Ce coq avait par ailleurs été promené triomphalement à travers le bourg par les ouvriers, ce qui leur avait valu dans chaque maison, un coup de “lambig”. Je me souviens encore de leur irruption dans la salle de classe brandissant un magnifique coq tout rutilant de dorure ».

Une catastrophe évitée de peu

Ce jour-là, donc, le Recteur Guillaume Le Jeune avait terminé la grand-messe en un temps record. En chaire, il avait décidé brusquement qu’il n’y aurait pas de prêche: « Le temps est à la pluie, dépêchez-vous après la messe de rentrer chez vous et d’aller travailler aux foins ». Personne ne trouva à redire aux conseils judicieux du bon recteur, aussi, la messe finie, chacun s’égailla et rentra chez soi sans flâner dans les commerces ainsi que le veut la tradition.

“Chez nous, à Kervor, poursuit Jean louis Jacq, les ménagères très occupées par les travaux domestiques nous dirent: “allez donc voir si les gens reviennent de la messe”.

Nous partons en courant au pignon de la grange, d’où l’on aperçoit une bonne partie du chemin qui mène au bourg. Et là, soudain, nous vîmes avec effarement le clocher et l’échafaudage qui basculaient sous la poussée d’une rafale de vent particulièrement violente. Le clocher était par terre.

Hors d’haleine, nous arrivons à la maison crier la nouvelle toute fraîche. Mal nous en prit, le “torch listri”, le martinet de jadis, (qui était en fait le linge qui servait à laver la vaisselle), nous le fit bien comprendre, et faire volte face. “Bande de galopins, n’avez-vous pas honte, de dire des mensonges, et de vouloir faire marcher les grandes personnes?”.

C’était pourtant la terrible vérité, mais en même temps, l’on vit des gens qui revenaient du bourg en devisant par groupes épars, ignorant du drame qui venait de se jouer, car ils tournaient le dos au clocher. Ils n’avaient rien vu, et en raison du vent d’ouest soufflant en tempête, ils n’avaient rien entendu. Nous eûmes la gloire et le privilège de leur annoncer la nouvelle. Se détournant alors vers l’église, ils restaient tous stupéfaits, ayant peine à en croire leurs yeux. Et après avoir réalisé l’événement, on entendit les commentaires que vous devinez. “On a eu de la chance!

Effectivement, il n’y a pas eu de victimes, la messe aurait pu finir dix minutes plus tôt et cela aurait fait un drame épouvantable. Dix minutes avant l’accident, l’église était donc pleine de monde.

« Il y eut quelques blessés légers parmi les maçons qui travaillaient au clocher.  Les clochetons où ils travaillaient pour s’abriter du vent, n’avaient pas suivi le mouvement du clocher, et c’est ce qui leur sauva la vie.

Une reconstruction rapide

“Le clocher décapité de plusieurs mètres fut rebâti assez rapidement. Si on regarde attentivement ce clocher de près, on remarque que la flèche qui commence à la chambre des cloches a un aspect plus sombre que la construction du dessous. C’est cette flèche qui fut construite en 1909, six ans après l’achèvement de l’église. Cette nouvelle flèche est en pierre de taille de Gourin. Les pierres étaient taillées à l’avance à Gourin, et l’ensemble fut transporté par chemin de fer à la gare de Morlaix, en douze wagons de dix tonnes, et de là, acheminé à Henvic par charrettes.

Comment furent trouvés les fonds nécessaires pour reconstruire le clocher

C’est là qu’intervient notre fameux recteur, Guillaume Le Jeune. Des personnes vivant à cette époque ont témoigné que c’est grâce à lui que le clocher a pu être reconstruit. Monsieur l’abbé Messager, prêtre décédé en 1998, et qui habitait lorsqu’il était jeune, la maison qui sert maintenant de fournil à la boulangerie, avait toujours présents à l’esprit les évènements qui viennent d’être racontés. “Peu de temps après la chute du clocher de l’église, affirmait-il, Louise, la sœur de Guillaume Le Jeune, qui était également sa “carabassen”, vit celui-ci descendre l’escalier du presbytère, habillé en clergyman, avec veston et chapeau. Elle crut bien sûr que la catastrophe qui était arrivée quelques jours plus tôt lui avait tourné la tête, surtout quand il lui dit qu’il partait en Angleterre voir la Reine!. Madame Jeannne Nicolas Saout se souvenait que sa mère lui a également raconté qu’elle elle vit M. Le Jeune portant un chapeau trop petit pour lui, et un complet veston qu’il avait dû emprunter à un de ses paroissiens, et dont il ne pouvait pas fermer les boutons, car il était très gros. Il se préparait, disait-il, à partir en Angleterre demander de l’aide pour reconstruire le clocher de l’église.

Bien sûr les paroissiens se sont posé des questions sur la santé mentale de leur recteur, qu’ils ont cru un moment ébranlée par les récents évènements. Mais la réalité était toute autre. Durant son séjour à l’Ile Molène, le recteur Le Jeune avait été témoin d’un drame où il avait joué un rôle de premier ordre, le naufrage du Drummond Castle. Cela lui avait valu les remerciements les plus chaleureux de la cour d’Angleterre, à une période où pourtant les relations n’étaient pas des plus chaudes entre la Grande Bretagne et la France.

Le naufrage du Drummont‑Castle le 16 juin 1896

Si à Molène, les îliens profitaient du “bris”, combien de sauvetages n’ont-ils pas été aussi effectué. Un de ces naufrages est resté célèbre par l’ampleur de la catastrophe: il s’agit de celui du DRUMMONT-CASTLE.

Ce somptueux paquebot anglais, de construction métallique, revenait du Cap avec à son bord plus de 400 passagers dont 50 enfants. Dans la nuit du 16 au 17 juin, le bateau talonna les Roches Vertes, et en huit minutes, il coula dans le passage le plus redoutable du Fromveur.

Ce n’est qu’au 17 au matin, que les pêcheurs de Molène découvrirent ces cadavres, la plupart dans leur tenue de soirée. Il y eut 397 morts, et seulement cinq rescapés purent être sauvés. 29 furent enterrés sur l’île dans un enclos attenant au cimetière, et on peut toujours y voir une plaque commémorative.

Emu par cette catastrophe, le recteur de l’île, Guillaume Le Jeune, fit démonter la volige de l’école, qui était en construction, pour fabriquer des cercueils. Il exhorta les îliens à envelopper les morts qui ne pouvaient avoir de cercueil, dans des voiles de bateau, (L’archipel d’Ouessant n’ayant pas suffisamment de bois), et à les enterrer dans le cimetière de l’île. Le courage et le dévouement des îliens émurent jusqu’à la Reine Victoria, qui les remercia personnellement.

En guise de reconnaissance, les habitants de Molène se virent offrir un « impluvium », c’est à dire une citerne pour recueillir l’eau du toit de l’église, une horloge pour cet édifice, une croix processionnelle, et un calice. La Reine Victoria institua une médaille commémorative, accompagnée d’un diplôme, qui fut remise au recteur et à quelques îliens qui s’étaient particulièrement distingués. Cette cérémonie eut lieu le 28 avril 1897.

Selon des documents conservés au musée de Molène consacré  à ce naufrage, l’Abbé Le Jeune aurait eu un abondant courrier avec l’Angleterre. Dans une lettre, l’Archevêque de Canterbury exprime au curé de Molène « la sincère gratitude des membres de l’église d’Angleterre »

Il est donc vraisemblable que M. Le Jeune, comme il l’avait annoncé à ses paroissiens henvicois, soit allé à Londres, demander de l’aide auprès de la Couronne, afin de reconstruire le clocher qui s’était écroulé. Il serait paraît-il revenu avec des bijoux en or, des bagues, qu’il aurait vendues. Il serait certes intéressant de savoir ce que sont devenus ces bijoux.